J’aimerais, lors du temps de résidence proposé au sein de la Coopérative de Recherche, continuer un travail entamé l’année passée lors d’un programme porté par EURArTeC, le DIU ArTeC+. Celui-ci porte sur la figure du sas. Cette recherche-création explore le sas non seulement comme un espace architectural, mais aussi comme une figure relationnelle, un espace latent et d’entre-deux, un instrument de tri et de manipulation des flux qui, dans sa matérialité et son usage, influe sur la construction des identités individuelles et collectives.

Un sas est un espace clos qui définit la relation entre deux lieux. ‘‘Sas’’ n’est pas un acronyme mais vient de saäz, saz, et aussi saetacium, soit un “tamis”, qui lui-même vient de seta, ‘‘soie’’. C’est un espace à échelle de main, un panier dont les jours séparent les minéraux denses des grains de sable. C’est un outil de tri, poreux car percé d’interstices. Un sas est un espace de transition, tissé de perte mais aussi de gain, où s’opèrent échanges, tri, transformations. Le sas est passé d’espaces ajourés à des cloisons solides, en une chambre d’attente contrainte, où l’individu se retrouve en suspens, pris dans une latence imposée. Cette transformation, d’un objet souple et tissé à une structure hermétique et normalisée, interroge notre rapport à l’espace et à la relation à soi et aux autres. Que devient l’identité d’un corps pris dans cet entre-deux ? Dans quel état se trouve celui qui s’attarde dans le sas, retenu dans une attente qui ne dépend plus de lui ?

Cette recherche s’ancre dans une double approche : d’une part, une enquête sur les formes et usages des sas, à la fois comme dispositif spatial et comme phénomène sensible et social ; d’autre part, une tentative d’activation de ces espaces par la création artistique, afin de déplacer leur fonction première et d’y révéler d’autres possibles.

Ce travail consistera à accumuler une matière narrative en m’appuyant sur les récits d’expériences collectives et individuelles du sas. À partir de cette collecte, je souhaite développer une plateforme numérique en no-code, qui servirait d’archive vivante d’ activations de sas sous diverses formes (objets sonores, visuels, textuels). Je souhaite également développer cette archive en un objet imprimable sur papier.

Je m’intéresse à la manière dont nous performons l’attente dans ces espaces, aux réflexes et aux émotions qui s’y inscrivent : l’ennui, la frustration, l’attention flottante, la disponibilité, la colère contenue. Ces affects deviendraient les points d’ancrage de mes activations, qui prendraient la forme d’installations, de performances ou d’ateliers immersifs. La boucle, la répétition et la transformation progressive – inspirées par les pratiques sonores et la loop comme processus de dérive et de variation – sont au cœur de ma méthode, qui vise à éprouver le sas comme un espace de création et de réappropriation.

Cette recherche s’inscrit aussi dans une réflexion critique sur l’identité. Le sas est un espace qui en pallie d’autres, qui se montre tant comme un outil de régulation des corps, que immatériel, comme un phénomène de péage, qui se manifeste entre des limites arbitraires et impersonnelles. Pour moi, le sas est une situation, une circonstance. Une figure qui caractérise un état, une impossibilité d’accès aux entrées et sorties de l’espace liminal. L’inaccessible. L’identité de l’individu est suspendue, tout comme ses conditions d’accès aux identités collectives, car retenue dans un état de sas.

En détournant, et en explorant la plasticité et le potentiel de réinvention de cet espace, j’aimerais le penser autrement : non plus comme un espace imposé, mais comme une zone à investir, un lieu d’échange et d’expérimentation. Ce projet cherche ainsi à questionner nos modes d’appartenance et de circulation, à rendre tangible l’expérience de la suspension et à ouvrir un espace où cette attente imposée pourrait se transformer en un temps actif et partagé.

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Cyanotype sur verre, filtre lenticulaire suspendu, barre LED.

Cyanotype on glass, suspended lenticular filter, LED bar.